Entre
les lettres, les nombres et les choses, l'oeuvre de Jean-Pierre Bertrand
se déploie depuis près de trente années dans une
contemporaine hétérogénéité de modes
et de matériaux : vidéos, photos, peintures et dessins
sur papier recyclé ou préparés, néons, volumes,
installations. Dès l'origine de son travail, autour de 1970 apparaissent
certains invariants : une importance accordée au positionnement
dans l'espace (projection ou accrochage) prélèvements
d'unités discrètes dans un continuum et mise en série,
rapport du réel au symbolique, de la totalité au fragmentaire.
Dans cette oeuvre, le sensible (émouvant, aléatoire, palpitant)
se trouve contre-balancé par les procédures d'organisation
spatiale des pièces < marquées de l'empreinte des nombres
» mais, pour autant jamais rigides. Dans une arithmétique
complexe qui stigmatise le nombre 54 (chiffre autoproclamé),
Jean-Pierre Bertrand élabore une oeuvre qui parle du temps. Pour
autant, il ne s'intéresse pas à l'idée de rythme
contenu dans la disposition des éléments, pas plus qu'à
l'idée de cassure, de rupture. Mais il préfère
plutôt songer à ce qui se déroule dans le temps
présent, à ces formes d'échappées qu'engage
une lecture globale, et sans cesse inachevées. "En art il
n'y a jamais addition".
La
pièce lumineuse présentée ici, se compose selon
une scansion mathématique 2 et 4-4-4-4, sur 3 rangées
superposées, de 54 lettres en néon bleu disposées
verticalement dans l'espace.
L'origine de l'oeuvre est son titre : « Cinquante-quatre lettres
bleus ne viendront pas à bout du verbe ».
La logique de la disposition des lettres n'empêche en rien la
perte de sens par rapport à l'énoncé au contraire
elle y contribue.
La vibration lumineuse des surfaces d'intensités variées
abandonne sa fonction visuelle pour se charger d'une réalité
symbolique.
Ces notions de mouvement infime, de séquence, d'éblouissement,
d'évanescence mais également les rapports entre montré
et caché, entre absorption et diffusion de la lumière
selon les supports traduisent un même désir de révélation
des mystères de la vie.
«
Six lettres différentes l'une de l'autre et l'une sous l'autre
à gauche. À leur droite trois fois quatre carrés
de quatre lettres. Dans chacun des carrés les lettres se redoublent,
une fois ou deux fois. L'ensemble semble cohérent, avoir sa propre
logique de distribution. Aucune mémoire là dedans, seulement
une construction qui irradie une lumière bleue comme de la fumée
dans les tubes, une construction légère, structurée
comme un réseau informatisé. Le processus intérieur
de la phrase avant l'agencement des lettres entre elles et des mots
entre eux. JP Bertrand, sept.1999. ».
L'oeuvre de Jean-Pierre Bertrand s'inscrit dans une strate du réel
située entre le perceptible et l'imperceptible, l'ésotérique
et le prosaïque, entre l'aléatoire l'ordonné. En
faisant appel à toutes sortes de matériaux et techniques,
cette oeuvre protéiforme se dérobe à toute tentative
de classification.